Marc Sayous | Songes et formes

 

NOÉMIE CHAGALE, 75 ANS, ARTISTE GRAVEUR

→ ZONE URBAINE : Hôpital de la Charité chambre n°44   22° C ∴    Ombragée
→ ACTIONS  : Sous perfusion,dans son lit
→ ÉTAT SENSORIEL :    ∴ Température 37,3°  Température : 38,8° Corps insensible sous l’effet des dérivé smorphiniques.
ÉTAT  ONIRIQUE :  Seule dans ce nouveau matin qui sera le dernier,elle a l’impressionde flotter dans l’air en parlant à sa petite fille qui n’est pourtant pas là 

Flux onirique discret 

Cela n’arrive que tous les dix ans. Oui, tous les dix ans ! Un phénomène rare. J’ai déjà 75 ans et pourtant je suis encore novice. Et toi tu ne les as jamais vu. Alors bientôt nous irons ensemble au pied de ces grands arbres, ma jolie, et je peux te l’assurer : ce sera un beau moment. Les personnes afflueront, pendant trois jours et trois nuits au coeur de la ville, vers la place des trois arbres. Certains disent que la cité s’est construite autour d’eux, qu’ils auraient plus de mille ans. C’est sûrement faux mais pourtant j’aime bien le croire. Ils seront là, immenses, au centre de la place. Le mois de mai les couvrent toujours de feuilles très vertes et rien de plus si ce n’est l’imposante présence des oiseaux qui trouvent refuge dans la richesse offerte des branchages. Mais cette fois ce sera la belle année des sentiments enflammés, les trois arbres se couvriront de fleurs rouges aux mille pétales charnus. Trois jours. Trois nuits. Les habitants viendront poser leurs souhaits aux racines des arbres. Chaque nuit, ils ajouteront une petite bougie.n’arrive que tous les dix ans. Oui, tous les dix ans ! Un phénomène rare. J’ai déjà 75 ans et pourtant je suis encore novice. Et toi tu ne les as jamais vu. Alors bientôt nous irons ensemble au pied de ces grands arbres, ma jolie, et je peux te l’assurer : ce sera un beau moment. Les personnes afflueront, pendant trois jours et trois nuits au coeur de la ville, vers la place des trois arbres. Certains disent que la cité s’est construite autour d’eux, qu’ils auraient plus de mille ans. C’est sûrement faux mais pourtant j’aime bien le croire. Ils seront là, immenses, au centre de la place. Le mois de mai les couvrent toujours de feuilles très vertes et rien de plus si ce n’est l’imposante présence des oiseaux qui trouvent refuge dans la richesse offerte des branchages. Mais cette fois ce sera la belle année des sentiments enflammés, les trois arbres se couvriront de fleurs rouges aux mille pétales charnus. Trois jours. Trois nuits. Les habitants viendront poser leurs souhaits aux racines des arbres. Chaque nuit, ils ajouteront une petite bougie.Au troisième jour, le vent se lèvera. Tu peux en être certaine. Un souffle sans violence venu d’on ne sait où. Les pétales rouges s’envoleront, transportés peu à peu dans l’air tiède au gré des rues et des croisements. Ils se répandront comme le fluide s’infiltre dans les veines etles artères. Nous essaierons d’en attraper. Au contact de ta petite main, sur chaque pétale tu découvriras une lettre noire. Tu ne seras pas la seule à t’emmerveiller du phénomène. Certains verront un présage dans cette simple lettre, d’autres chercheront un sens, un symbole. La plupart essaiera de composer une phrase. Place des trois arbres, l’origine mystérieuse des langues que l’on porte malgré soi se trouvera provisoirement résolue et Babel ne sera plus qu’un mythe.

Les rues de la ville se transformeront peu à peu dans ce flux de lettres noires sur fond rouge. Je ne connais pas de sensation plus agréable que ces pétales qui glissent sans force sur le visage du promeneur et parfois s’y attachent.Les rues de la ville se transformeront peu à peu dans ce flux de lettres noires sur fond rouge. Je ne connais pas de sensation plus agréable que ces pétales qui glissent sans force sur le visage du promeneur et parfois s’y attachent.Ce vent hémorragique se calmera enfin, comme ça, sans prévenir et sans raison. Chaque pétale tombée au sol deviendra plus transparent, insignifiant. Une nouvelle décennie commencera.Peut-être penseras-tu à moi quand je ne serai plus avec toi le jour des grands arbres ? Peut-être croiras-tu que c’est moi qui revient près de toi pour te souffler des mots par-delà les barrières du temps et célébrer la beauté de l’existence dans le miroir des apparences. Et de fait, ce sera plus que raison.