Marc Sayous | Songes et formes

Il écoute. Corps brisé, peau givrée, sur le trottoir. Son oreille collée sur le béton absorbe les pas, les roues, les voix. Il croit percevoir le sous-sol qui l’absorbera bientôt. La seule richesse qui lui reste est son enfance. Il n’entend plus clairement la ville dont il n’est que rejet. Il sent la fraîcheur du matin qui déglace ses douleurs. Il redoute le moment de sa mort. Proche, ça ne fait aucun doute. Peut-être aujourd’hui. Il n’ouvre pas les yeux sur cette perspective. Il ne veut pas se lever. Il ne peut pas. Sa seule richesse qui demeure est une image. Un concentré de plaisir. C’est une chambre d’enfant dans laquelle il réside. Elle tient la poignée de la porte, éteint la lumière et tout disparaît pour donner place au sommeil. Son parfum flotte encore dans l’air, parfum d’une mère esseulée qui part là-bas, dans le monde infini de l’adulte qui sait et protège. Il entend les dialogues d’un film en romance. Lentement, apparat dans les hauteurs nimbées de la chambre, cette petite sculpture posée sur ce qui fut une étagère au temps de la lumière. Une forme minuscule entre jaune et vert, une lueur intérieure qui prend la place de l’absence maternelle, bras tendus vers lui. Elle est sensation tangible de l’amour, cette mère en plastique d’un pauvre Christ perdu dans son mystère d’abandon. Pas de sang, pas de larmes. Seule cette phosphorescence qui permet au sommeil de venir pour apaiser le gouffre de la nuit. Il revoit cette apparition, le temps de s’effondrer, protégé par ses bras qui ouvraient autrefois l’empire des possibles.